Petite histoire de France de Jacques Bainville - Louis XIV le roi soleil
Lorsque, très jeune encore, Louis XIV était rentré à Paris, après la Fronde, il était un jour apparu en costume de chasse et un fouet à la main dans la salle des séances du Parlement, et, là, il avait dit aux magistrats qu’il entendait être obéi. Peut-être n’a-t-il pas prononcé le mot célèbre : « L’État, c’est moi. » Mais il l’a pensé.
On sut qu’à l’avenir il y aurait quelqu’un pour commander. Et la France en fut très contente, car elle avait beaucoup souffert des méfaits des frondeurs et elle ne tenait pas à recommencer. C’est pourquoi Louis XIV a eu tant d’admirateurs. Et les grands écrivains de son siècle, La Fontaine, Racine, Boileau, Molière, ont tous fait son éloge. Louis XIV ne voulait pas non plus que personne fût plus puissant que le roi. Avec lui, les grands seigneurs n’osèrent plus bouger, et, au lieu de se révolter, vinrent lui faire leur cour. À partir de ce moment-là, on n’entendit plus parler des féodaux.
Et Louis XIV ne voulait pas davantage que des financiers devinssent trop riches aux dépens du pays. Il y en avait un qui avait gagné tant d’argent, qu’il en avait plus que le roi lui-même. Et Fouquet était si fier qu’il se croyait au-dessus du roi, si orgueilleux qu’il avait pris pour devise : « Où ne monterai-je pas ? » Un jour, il donna dans son château de Vaux une fête si magnifique, que c’était lui qui semblait être le premier en France. Louis XIV, qu’il avait invité comme pour l’humilier, jura « qu’il ferait rendre gorge à ces gens-là ». Quelques jours après la fête de Vaux, Fouquet fut arrêté et condamné à la prison perpétuelle. Ce fut une leçon donnée aux vaniteux, et tout le monde se tint pour dit qu’il n’y avait qu’un maître en France.
Louis XIV voulut que son règne fût le plus brillant qu’on eût encore vu. Il y réussit, car on parle encore du siècle de Louis XIV comme de celui où, en toutes choses, la France fut à la tête des nations. Il n’y eut jamais tant d’écrivains célèbres. Les livres qu’ils ont écrits sont restés comme des modèles, et ce sont encore ceux qu’on fait lire dans les classes et où les Français apprennent à bien parler leur langue.
Pour bien montrer la grandeur de son règne, Louis XIV voulut avoir son palais à lui. Délaissant le Louvre, que ses prédécesseurs avaient habité, il construisit le château de Versailles. Et son ministre Colbert, qui était économe, lui reprochait souvent cette grande dépense.
Colbert était fils d’un drapier de Reims dont la boutique avait pour enseigne : Au Long vêtu. C’était un bourgeois, comme beaucoup de ministres de la Monarchie. Tandis que le roi mettait de l’ordre dans le royaume, il en mettait, lui, dans les finances. C’est pourquoi Versailles lui arrachait tant de soupirs. Le roi le laissait soupirer. Aujourd’hui le château de Versailles est un des ornements de la France, et l’on vient de très loin, d’Amérique même, pour le voir et pour y retrouver le souvenir de celui dont la gloire a été si grande, qu’on l’appela de son vivant et qu’on l’appelle encore le Roi-Soleil.
On a peine à imaginer que, dans la grandeur à laquelle elle était arrivée, la France ne fût pas encore complète. Elle l’était si peu, que de grandes villes comme Lille, Strasbourg, Besançon, n’en faisaient pas partie. Aussi, continuant l’œuvre de ses ancêtres, Louis XIV eut pour ambition de rendre à la France les frontières qui avaient été celles de la Gaule et qu’elle avait perdues depuis si longtemps.
Quand on parle des conquêtes de Louis XIV, il faut donc se dire que, sans ces conquêtes-là, la France compterait aujourd’hui plusieurs départements de moins.
Il commença par la Flandre, qui appartenait alors à l’Espagne, comme si les Espagnols eussent le droit de posséder Lille et Douai, qui sont très loin de Madrid. Louis XIV revendiqua cette province comme la dot de sa femme Marie-Thérèse. Ce fut une vrai promenade, et cette belle province fut conquise presque sans batailles.
Mais les autres pays furent jaloux, surtout la Hollande, qui était alors plus puissante qu’aujourd’hui. Les Hollandais ayant formé une ligue contre Louis XIV pour l’empêcher de garder la Flandre et la Franche-Comté qu’il avait également conquise, le roi envahit leur pays appelé les Pays-Bas, parce qu’elle est en effet plus basse que la mer. Avec un héroïsme digne d’admiration, les Hollandais n’hésitèrent pas à ouvrir leurs écluses, et une vaste inondation fit reculer les Français, vaincus non par le fer et le feu, mais par l’eau.
Alors il se forma contre Louis XIV une première coalition qui réunit contre lui près de la moitié de l’Europe. Elle voulait lui reprendre ce que la France avait acquis depuis Richelieu et défaire notre « pré carré ». Parmi nos ennemis, on retrouvait l’empereur allemand, avide de prendre sa revanche des traités de Westphalie. On rencontrait aussi pour la première fois la Prusse et les Prussiens.
Louis XIV tint tête à tous. Il avait encore pour généraux Condé et Turenne, qui furent vainqueurs partout. Un moment, pourtant les impériaux envahirent l’Alsace. Mais Turenne les repoussa si bien, qu’il franchirent le Rhin. Il était à la veille de remporter une grande victoire, lorsqu’en examinant les positions de l’ennemi, s’étant trop avancé, il fut frappé en pleine poitrine et tomba entre les bras de son fils. Ses soldats le pleurèrent comme un père, et les Français comme un héros.
Cependant la guerre se termina à notre avantage, et la France y gagna encore la Franche-Comté avec Besançon. Ensuite Louis XIV décida de réunir au royaume Strasbourg et quelques autres villes de l’Est, au nom des traités qui venaient d’être signés.
Ces nouveaux agrandissements réveillèrent la jalousie de l’Europe. Il se forma contre la France une nouvelle coalition, encore plus redoutable, car, cette fois, l’Angleterre en faisait partie. Et, en même temps, Louis XIV commit une faute. Ce fut la révocation de l’édit de Nantes. Les protestants perdaient le droit de pratiquer leur religion. En très grand nombre, plutôt que de se convertir, ils préférèrent quitter la France, qui perdit ainsi beaucoup d’hommes actifs et industrieux qui allèrent porter à l’étranger, et surtout en Prusse, leurs métiers et aussi leurs rancunes. Lorsque Louis XIV s’aperçut de son erreur, il était trop tard. Mais il faut dire aussi que tout le reste de la France l’avait poussé à révoquer l’Edit de Nantes et l’en avait loué comme l’une de ses plus belles actions.
Ce fut encore une grande guerre sur terre et sur mer, que celle de la ligue d’Augsbourg. La France fut attaquée partout, mais partout elle porta la guerre chez l’ennemi. Si Tourville perdit ses vaisseaux à la bataille navale de la Hougue, Jean-Bart et Duguay-Trouin firent aux Anglais une rude guerre de corsaires. Sur terre, Catinat et le maréchal de Luxembourg remportèrent de grandes victoires. Après celle de Nerwinden, Luxembourg rapporta à Paris tant de drapeaux, qu’on l’appela le tapissier de Notre-Dame.
Deux fois la France avait résisté à l’Europe. Elle allait lui résister encore une fois dans la guerre de succession d’Espagne.
Le roi d’Espagne était mort sans enfants et il avait laissé sa couronne au duc d’Anjou, le petit fils de Louis XIV. Celui-ci savait bien que, s’il acceptait cet héritage, l’Europe lui en voudrait beaucoup. Mais si on le refusait, un prince allemand régnerait à Madrid, comme sous Charles-Quint. La France aurait un ennemi derrière les Pyrénées. Après avoir bien hésité, Louis XIV accepta le testament, et, en annonçant que le duc d’Anjou devenait roi d’Espagne sous le nom de Philippe V, il dit : « Il n’y a plus de Pyrénées. » En effet, depuis ce temps, les Bourbons ont régné sur l’Espagne, qui a cessé d’être notre ennemie.
Mais, comme Louis XIV l’avait prévu, il eut encore à soutenir une grande guerre contre l’Europe, et la France eut tant d’adversaires à combattre à la fois, qu’ils purent croire qu’elle succomberait. Un moment elle fut même tout près d’être envahie après la défaite d’une de nos armées à Malplaquet. Le chemin de Paris était ouvert. Mais bientôt, à Denain, le maréchal de Villars remporta une grande victoire après laquelle la paix fut signée.
Louis XIV gardait toutes ses conquêtes. Son petit fils régnait sur l’Espagne, au lieu que ce fût un prince allemand. Ce long règne de soixante dix ans avait connu à la fin des heures sombres. Mais il s’achevait dans la gloire.
Pourtant, à son couchant, le Roi-Soleil était bien triste, car la mort était venue lui prendre presque tous ses enfants. Lorsqu’il mourut, en 1715, il ne restait plus pour lui succéder que son arrière-petit-fils, Louis XV, qui avait cinq ans.