Petite histoire de France de Jacques Bainville - Les seigneurs féodaux
Nous allons maintenant revenir un peu en arrière pour comprendre ce qui se passait en France dans ce temps-là, c'est-à-dire depuis que Charlemagne était mort.
Vous imaginez combien les gens devaient être malheureux lorsqu’il n’y avait plus personne pour faire la police et quand, tous les jours, des troupes de brigands et des bandes de Northmans apparaissaient, pillant, volant, tuant, emmenant parfois femmes et enfants en esclavage. On vivait dans une crainte perpétuelle et dans la désolation.
Songez que les Northmans étaient si redoutables, qu’on avait fini par leur céder la province qui, de leur nom, devint la Normandie.
Alors, on se tournait vers les hommes qui avaient du courage et l’habitude de la guerre. On leur demandait secours et protection. C’étaient eux qui, revêtus d’une armure et sachant manier la lance et l’épée, se mettaient à la tête des plus vigoureux et des plus braves pour défendre le village ou le canton en cas de danger.
C’est pour cela que l’on construit ces châteaux forts dont certains existent encore aujourd’hui. Ils avaient de grands murs percés d’ouvertures, ou créneaux, d’où l’on pouvait tirer des flèches et jeter de l’huile bouillante sur l’ennemi. Par-devant, un fossé rempli d’eau, et l’on ne pouvait entrer qu’après avoir abaissé un pont, qui s’appelait pont-levis. Au milieu, se dressait une grande tour ou donjon, d’où l’on surveillait ce qui se passait dans la plaine.
Dès que la trompe de la sentinelle sonnait l’alarme, tout le monde abandonnait les champs ou sa maison et venait se réfugier dans le château fort.
Le seigneur fut donc d’abord un protecteur. On se recommandait à lui. Et, en échange des services qu’il rendait, on lui promettait obéissance. Car dans le péril, on obéit volontiers à celui qui peut vous sauver la vie, et on lui donnerait tout ce qu’on possède, même sa liberté.
Mais tous les seigneurs n’étaient pas assez forts pour résister à l’ennemi, et ils se recommandaient à leur tour à de plus puissants qu’eux. C’était leur suzerain dont ils étaient les vassaux, tandis qu’ils avaient eux-mêmes des vassaux au-dessous d’eux.
C’est ce qu’on appela la féodalité. Représentez-vous le régime féodal comme une grande pyramide au haut de laquelle il y avait le roi.
Seulement le roi n’était pas toujours respecté comme il aurait dû l’être de tous ceux dont il était le suzerain. La plupart des seigneurs se regardaient eux-mêmes comme des rois chez eux. Ils ne voulaient pas reconnaître d’autre autorité que la leur, ni obéir à personne.
Il y avait bien les lois de la chevalerie qui ordonnaient au chevalier d’être doux avec les faibles, de défendre les veuves et les orphelins et de se conduire toujours comme un bon chrétien. Mais le mauvais instinct reprenait trop souvent le dessus. Au lieu de défendre les pauvres gens, certains seigneurs les traitaient durement. Beaucoup se battaient entre eux. Et certains se conduisaient même comme de vrais bandits et sortaient de leur donjon pour rançonner les marchands qui passaient sur les routes.
L’église intervenait souvent et elle imposait à ces batailleurs la trêve de Dieu. Mais elle-même n’était pas toujours écoutée.
Enfin, comme on avait vécu longtemps dans le désordre, où la force seule comptait, la loi du plus fort avait fini par triompher. Quand on avait un procès, les deux plaideurs devaient se battre en duel, et le perdant était celui qui était touché. C’était ce qu’on appelait le jugement de Dieu.
Vous voyez donc que la féodalité avait de bons côtés et qu’elle avait d’abord été utile. Bientôt on en sentit plus que les abus.
En effet, comme il n’y avait plus à craindre les barbares Northmans ou autres, l’autorité du seigneur pesait aux petites gens. Les droits qu’il avait sur eux commençaient à leur sembler injustes. Et le château féodal, au lieu d’apparaître comme un refuge semblait la demeure d’un tyran.
Aussi, le peuple se tournait-il vers le roi, seigneur des seigneurs et de tous, comme vers le protecteur le plus haut. Et l’on attendait de lui qu’il donnât une bonne justice, qu’il établît la paix et qu’il affranchît les communes.