Petite histoire de France de Jacques Bainville - Les rois fainéants
A sa mort, ses fils se partagèrent son royaume. C’était une mauvaise habitude qu’avaient gardé les Francs, car un pays ne se partage pas comme un champ. De plus, ils étaient très jaloux les uns des autres et se battaient souvent entre eux. C’est pourquoi les descendant de Clovis perdirent l’héritage qu’il leur avait laissé.
On raconta alors cette légende.
Une nuit que Childéric, père de Clovis, dormait, la reine Basine le réveilla et lui dit :
« O roi, lève-toi, et ce que tu verras dans la cour de la maison, tu viendras le dire à ta servante. »
Childéric s’étant levé, alla dans la cour. Il vit passer des lions, des tigres et des léopards, et revint vers Basine, qui lui dit :
« O mon maître, retourne dans la cour et ce que tu auras vu, tu le raconteras à ta servante. »
Cette fois, Childéric vit des loups et des ours. Et la troisième fois il vit des chiens qui se battaient et qui se mordaient jusqu’au sang.
« Ce que tu as vu, dit alors la reine Basine, arrivera en vérité. Notre fils Clovis sera un lion. Ses fils seront des tigres et des léopards. Les fils de ses fils seront des loups et des ours. Et les chiens que tu viens de voir ruineront le royaume. »
En effet, les Mérovingiens, descendant de Clovis, eurent entre eux de sanglantes querelles, et presque tous périrent de mort violente. Les femmes elles-mêmes s’en mêlèrent. Frédégonde, reine d’Austrasie, ayant fait assassiner sa rivale Galswinthe, sœur de Brunehaut, reine de Neustrie, il y eut une guerre atroce. A la fin, Brunehaut, ayant été vaincue, fut attachée à la queue d’un cheval emporté.
Tant de crimes portèrent malheur à cette famille divisée contre elle-même.
Elle eut pourtant un bon roi dont le souvenir ne s’est pas perdu et qui s’appelait Dagobert. Celui-là était juste. Il ne fit tuer personne et n’inspirait de crainte qu’aux méchants. Son ministre s’appelait saint Eloi. On a fait sur eux une chanson qui se chante encore, ce qui prouve qu’ils furent populaires. Saint Eloi, avant de devenir évêque de Noyon, était orfèvre de son métier, et Dagobert, qui aimait les belles choses, l’aidait à mettre dans les églises des croix enrichies de pierres précieuses.
Mais après ce bon roi il n’y eut plus que des princes mous, paresseux et incapables. Ils abandonnaient la charge du pouvoir à leurs ministres, qu’on appelait les maires du palais, tandis qu’eux-mêmes passaient leur temps à s’amuser et à se promener dans des chars conduits par des bœufs. Il leur en est resté le nom de rois fainéants.
Alors, comme il arrive toujours, ceux qui travaillaient prirent la place de ceux qui ne voulaient rien faire. Les maires du palais devinrent les véritables rois.
C’est ainsi que les mérovingiens disparurent. On enferma les derniers d’entre eux dans des couvents après leur avoir coupé les cheveux en signe qu’ils étaient déchus.