Petite histoire de France de Jacques Bainville - La folie de Charles VI
Malheureusement, son fils était encore plus jeune qu’il ne l’était lui-même quand Etienne Marcel avait soulevé les Parisiens. Charles VI n’avait que douze ans et, en attendant qu’il fût majeur, ses oncles gouvernèrent à sa place.
Ils gouvernèrent d’ailleurs fort mal, n’étant même pas d’accord entre eux, et, de nouveau, le désordre se mit dans le royaume, ce qui n’était une bonne chose que pour les Anglais. Cependant l’on attendait beaucoup du jeune roi et l’on espérait un nouveau Charles le Sage. Hélas ! ce fut Charles le fou !
Il venait d’être majeur, lorsqu’il entreprit de punir un puissant seigneur qui s’était révolté, puis enfuit en Bretagne. Charles VI lui-même voulut l’y poursuivre. Mais, comme il traversait la forêt du Mans, un homme tout habillé de blanc parut sur la route. Il se jeta vers le cheval du roi et le prit par la bride en s’écriant :
« Arrête, noble roi. Ne va pas loin. Tu es trahi. »
Charles VI fut frappé par cette étrange apparition. Cependant, un peu plus tard, comme il faisait fort chaud, le page qui portait la lance royale s’endormit tout en chevauchant. Il laissa échapper la lance, qui tomba sur l’armure du voisin. A ce bruit d’arme, Charles VI tressaillit, tira son épée et se jeta comme un furieux sur son escorte, croyant que tous ceux qui l’entouraient étaient des traitres comme l’avait dit l’homme habillé de blanc.
Le roi de France était fou, et jamais plus il ne devait retrouver la raison. Alors commença la plus grande pitié qu’on eût vue depuis longtemps dans notre pays.
La reine Isabeau de Bavière était une méchante femme, qui n’aimait pas la France et qui lui fit tout le mal qu’elle put. Et les Français eux-mêmes se battaient entre eux au lieu de s’unir contre les Anglais, comme sous Charles V et du Guesclin. D’un côté, il y avait le duc d’Orléans, frère du roi, qui voulait sauver l’héritage de ses neveux. De l’autre côté, il y avait le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, qui comptait prendre le trône pour lui. Une nuit, Jean sans Peur fit tuer le duc d’Orléans par des assassins qui s’étaient cachés dans une rue déserte.
Les partisans du duc d’Orléans jurèrent de le venger. Ils avaient à leur tête le duc d’Armagnac, et on les appela les Armagnacs à cause de lui. Les partisans du duc de Bourgogne étaient les Bourguignons. Et les Armagnacs étaient le parti de la France, tandis que les Bourguignons étaient le mauvais parti. Ils avaient avec eux, à Paris, les bouchers et les écorcheurs, qui commirent beaucoup de cruautés.
Comme les Armagnacs et les Bourguignons se battaient sans trêve, le roi d’Angleterre pensa que le moment était bon pour s’emparer de la France. Il y entra avec une armée. Et, comme à Crécy, comme à Poitiers, les chevaliers français allèrent à sa rencontre. Mais, toujours aussi téméraires, ils se lancèrent contre les archers avec leurs chevaux. Il avait plu, la terre était mouillée et les chevaux s’embourbèrent. Aussi les Anglais firent-ils encore un grand massacre de ces imprudents qui n’imitaient pas l’habile du Guesclin et qui allaient à la bataille comme à une fête.
Le désastre d’Azincourt aurait dû réconcilier les deux partis. Au contraire, ils se déchirèrent avec plus de fureur qu’avant. Les bouchers et les écorcheurs livrèrent Paris aux Bourguignons. Ils égorgèrent un grand nombre d’Armagnacs. Ceux qui purent s’échapper emmenèrent avec eux le dauphin, qui, désormais, erra à travers la France jusqu’au jour où Jeanne d’Arc l’eut fait sacrer roi à Reims.
Car ce dauphin devait être Charles VII, qui rétablit par miracle les affaires de notre pays.
Cependant les Armagnacs et les Bourguignons ne s’étaient jamais tant détestés ni tant combattus. Les Armagnacs disaient que Jean sans Peur était un traître qui voulait vendre la France aux Anglais et ils l’assassinèrent au pont de Montereau pour le punir d’avoir fait mourir le duc d’Orléans. Par vengeance, les Bourguignons passèrent tout à fait à l’ennemi. Et le nouveau duc de Bourgogne, avec la reine Isabeau, signa le traité le plus honteux de toute notre histoire.
Retenez encore la date de 1420. Alors le traité de Troyes faillit nous faire tous Anglais, et pour toujours. A la mort de Charles VI, le pauvre roi fou, le roi d’Angleterre Henri V devait devenir roi de France, tandis que, renié par sa mère elle-même, Charles VII et ses descendants ne seraient plus rien.
Et pourtant cela ne fut pas. D’abord parce qu’il y eut beaucoup de Français qui n’acceptèrent pas le traité de Troyes, qui refusèrent d’être Anglais et qui continuèrent à regarder Charles VII comme le seul roi légitime. Et ensuite, sans doute, la Providence ne le permit-elle pas. Car Henri V était un enfant de dix mois, il ne pouvait pas encore régner.
Si Charles VII était sacré à Reims avant que le petit prince Anglais fût majeur, tout était sauvé. Car le seul vrai roi de France était celui qui avait, comme autrefois Clovis, reçu le sacre. Il s’agissait donc, le plus tôt possible, de conduire Charles VII à Reims.
C’est alors que Jeanne d’Arc survint.