Il y avait en ce temps là, au village de Domrémy, tout près de la frontière de Lorraine, un pauvre laboureur qui s’appelait Jacques d’Arc et qui avait plusieurs enfants. Sa fille Jeanne était bonne, pieuse et douce. Et elle pleurait quand elle entendait raconter la grande pitié qu’il y avait au royaume de France.
En ce temps-là aussi, Charles VII errait à travers ce qui lui restait de son royaume. Il n’avait plus avec lui que quelques fidèles et il possédait si peu d’argent, que c’était grande fête à la cour quand on pouvait rôtir un poulet. Il montait un vilain petit cheval, et sa plus grande ville était Bourges. De sorte que les Anglais le surnommèrent le roi de Bourges, pour se moquer de lui.
Cependant ils assiégèrent depuis plusieurs mois la ville d’Orléans, et s’ils la prenaient, le reste de la France tomberait entre leurs mains. Ce serait encore plus loin que Bourges que Charles VII devrait fuir. Aussi tous ceux qui ne voulaient pas devenir les sujets du roi d’Angleterre faisaient-ils des vœux pour la délivrance d’Orléans.
Jeanne d’Arc priait aussi pour que la ville ne fût pas prise. Et un jour qu’elle était au jardin, elle vit une grande lumière et elle entendit une voix qui lui disait :
« Jeanne, va trouver le roi de France pour lui rendre son royaume. » Elle trembla de tous ses membres et répondit : « Messire, je ne suis qu’une pauvre fille, et je ne saurais conduire des hommes d’armes. » Mais la voix dit encore : « Sainte Catherine et sainte Margueritte t’assisteront. »
Par la suite, Jeanne vit souvent apparaître les saintes. Et ses voix lui ordonnaient sans cesse de se rendre auprès du roi. Cependant son père ne voulait pas la croire et disait que, plutôt que de la voir partir avec des soldats, il la noierait de ses propres mains.
Elle obtint pourtant de se rendre à Vaucouleurs chez un de ses oncles. Et là, ayant fait le récit de ses apparitions, les gens du bourg la menèrent au seigneur de Baudricourt et le décidèrent à la laisser partir accompagnée de six hommes d’armes. Ils se cotisèrent pour lui acheter un cheval. Elle coupa ses cheveux, prit des habits de garçon, et, malgré le danger des routes infestées de brigands, elle alla à Chinon, où se trouvait Charles VII.
Arrivée là, ce fut bien une autre affaire d’être reçue par celui qui, n’étant pas sacré, n’étaient encore que le dauphin. Mais le bruit s’était répandu qu’une fille de Lorraine avait reçu du Ciel mission de délivrer la France, et il fut curieux de la voir. Comme il se tenait parmi ses gens, sans aucun signe auquel on pût le reconnaître, Jeanne alla droit à lui et dit : « Gentil dauphin, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Donnez moi seulement des soldats. Je lèverai le siège d’Orléans et je vous mènerai sacrer à Reims, car la volonté de Dieu est que les Anglais s’en aillent en leur pays et vous laissent le royaume. »
Charles VII hésita beaucoup. Car il devait sembler bien étrange qu’une jeune paysanne réussît là où tant de braves capitaines avaient échoué. Mais le peuple était convaincu de la mission de Jeanne. Et les affaires du roi de Bourges allaient si mal, que les conseillers pensèrent qu’il ne risquait rien à essayer.
Jeanne fit comme elle avait dit. Les soldats avaient confiance en elle. On marcha sur Orléans avec enthousiasme, on attaqua les Anglais et Jeanne monta la première à l’assaut de leur bastille des Tournelles, d’où ils s’enfuirent en désordre, criant qu’ils avaient à leurs trousses une sorcière envoyée du diable, tandis que les Français la bénissaient déjà comme une sainte. En quelques jours, Orléans fut délivré.
Alors Jeanne d’Arc revint retrouver Charles VII, qui maintenant ne doutait plus d’elle. Et s’agenouillant devant lui, elle le supplia de la suivre sans retard et de venir avec elle à Reims, où il recevrait le sacre et deviendrait, la honte du petit prince anglais, le véritable roi de France. Et, encore une fois, il fut fait comme elle avait dit. Après la victoire de Patay, la route de Reims fut ouverte, et Charles VII entra dans la cathédrale, où, depuis Clovis, les rois de France recevaient le saint chrême. Et, pendant le sacre, Jeanne se tenait auprès de lui avec le drapeau qu’elle portait à la délivrance d’Orléans. « Car, disait-elle, il avait été à la peine. C’était bien raison qu’il fût à l’honneur. »
Orléans était délivré et le roi sacré, la mission de Jeanne d’Arc n’était pas finie. Elle eut bien voulu retourner à Domrémy chez ses parents. Mais ceux qu’elle avait conduit à la victoire la supplièrent de rester encore, et ses voix la pressèrent de chasser les Anglais de Paris.
Mais les Parisiens, - on est honteux aujourd’hui de le dire, - étaient pour les Anglais contre la France. Eux aussi ils accusaient Jeanne d’Arc d’être une sorcière. Au lieu de lui ouvrir leurs portes, ils la reçurent à coups de flèches et l’une lui traversa la jambe, tandis qu’elle voulait, comme à Orléans, franchir la première le fossé.
Jeanne fut bien triste de cet échec, mais elle ne perdit pas courage. Elle continua de lutter contre les Anglais pour les bouter, comme elle le disait, hors de France. Mais dans un combat près de Compiègne, elle fut renversée de son cheval et prise par un seigneur bourguignon qui la vendit vilainement aux Anglais.
Elle était aux mains de ses cruels ennemis, qui lui en voulaient de toutes les victoires qu’elle avait remportées sur eux et qui pensaient n’être en sureté que quand elle serait morte. Aussi résolurent-ils de la perdre en la faisant juger et condamner comme sorcière et parce qu’elle portait des habits d’homme, n’ayant rien pu trouver d’autre à lui reprocher.
Jeanne d’Arc fut emmenée à Rouen et jugée par l’évêque Pierre Cauchon, un ami des Anglais. Il essaya d’embarrasser la jeune fille par des questions difficiles et perfides. Mais Jeanne déjouait ses ruses avec son bon sens.
« Jeanne, lui disait-on, croyez-vous être en état de grâce ? » Et elle répondait : « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir. » A la fin ce fut elle qui embarrassa ses juges. Pour se venger, ils la condamnèrent d’abord à rester en prison tout le reste de sa vie.
Mais les anglais voulaient qu’elle mourût. Une nuit, ils lui enlevèrent ses habits de femme, mirent à la place des habits d’homme qu’il lui était défendu de porter et l’obligèrent à les revêtir. Alors ils dirent qu’elle était retombée dans ses péchés et la ramenèrent devant Cauchon, qui la condamna à être brûlée comme hérétique, relapse et idolâtre.
Les Anglais avaient préparé un grand bûcher et ils y mirent le feu quand Jeanne d’Arc y fut montée. Toute brave qu’elle était, elle ne put s’empêcher d’abord de pleurer et de frémir. Mais, à sa demande, on lui apporta une croix qu’elle serrait contre son cœur tandis que les flammes montaient. Et les saintes qui lui étaient apparues à Domrémy vinrent la soutenir, car elle disait dans son supplice : « Oui mes voix étaient de Dieu, mes voix ne m’ont pas trompées. » Puis elle pencha sa tête sur sa poitrine et mourut en criant : « Jésus ! »
Tous ceux qui étaient là pleuraient, et les Anglais eux-mêmes étaient épouvantés de ce qu’ils avaient fait. Quand Jeanne d’Arc eut rendu le dernier soupir, beaucoup d’entre eux eurent des remords et ils dirent : « Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte. »
Plus tard, tout le monde se détourna avec horreur de Pierre Cauchon, dont le nom est encore donné aux mauvais juges comme celui de Ganelon est donné aux traîtres. Le procès de Jeanne d’Arc fut annulé, et elle-même est devenue une sainte de l’Eglise. Tous les ans, au mois de mai, anniversaire de la délivrance d’Orléans, sa fête est la fête nationale et les fenêtres sont pavoisées en son honneur. Les Anglais eux-mêmes ont un culte pour elle. Jeanne, la bonne Lorraine, qu les Anglais brûlèrent à Rouen, est connue du monde entier. Dans aucun autre pays on ne trouve une histoire aussi belle que celle de Jeanne d’Arc. Et cette histoire personne ne pourra jamais la raconter ni l’entendre sans que les larmes ne viennent aux yeux.